C’est un savoir-faire ancestral. Un procédé d’art décoratif importé des Indes à l’époque coloniale. Pourtant, ne parait-il pas, à le contempler, tellement contemporain? C’est grâce au travail d’un grand couturier français, que la toile de Jouy et la maison Christian Dior bénéficient en effet d’un succès si parallèle qu’elles en sont devenues quasiment indissociables. Régulièrement, la toile rejoint les collections des designers de la marque, de son fondateur éponyme à ses successeurs: Ferré, Galliano ou plus récemment Chiuri, en intègrent le style à leurs créations. Pourtant, cette fameuse toile fut en 1686 interdite en France, car importée d’Inde, elle concurrençait la soie des Lyonnais. À l’époque, les comptoirs commerciaux en proposaient avec des impressions spécialement destinées aux goûts des européennes.

Forte de cette adaptabilité, elle se démocratisa en France et devint célèbre, portée par un certain Monsieur Oberkampf, le même qui donna depuis son nom à l’arrêt du Métropolitain Parisien. Louis XVI l’anoblit et Napoléon lui remit la légion d’honneur. Il faut dire que sa fabrique, installée à Jouy-en-Joyas, traversa les régimes politiques et donc l’Histoire, celle avec un grand H, en devenant la troisième entreprise de France. Inspirée du dessin à la gravure, la toile de Jouy était imprimée via une plaque en bois, puis plus tard, de cuivre. Et si elle se développa dans tout l’hexagone, elle garda le nom de sa localité d’origine comme repère. Ses estampes, aux scènes champêtres et bucoliques, plus de 30000 recensées au musée, étaient l’œuvre d’artistes émérites comme le fut Jean-Baptiste Huet.

En 1947, alors que Monsieur Dior peaufinait l’image de sa marque et cherchait à personnaliser sa boutique de l’avenue Montaigne avec une décoration distinguée, ses amis l’orientèrent vers cette toile si caractéristique et en recouvrirent l’entièreté des murs et du mobilier. Revisitée par le couturier, la thématique pastorale ne fut jamais ringardisée et son expression, sans cesse modernisée. Si bien que son motif devint pérenne, autant dans les accessoires de décoration que dans les sacs d’été brodés. Par ce génie réinventé, la maison Christian Dior se retrouva dépositaire d’un héritage artistique français dont elle fit une signature distincte. Ainsi, si la toile de Jouy n’appartient à personne, assurément l’âme de son ambassadeur le plus illustre, se promène de par le monde, dans ce canevas auquel sont associées les créations ornées de son nom.